22 Avril 2020
Il y a quelques semaines encore lorsque j’évoquais dans certaines conversations privées familiales ou professionnelles ma démarche sur le long terme pour tenter d’atteindre un minimum d’autonomies alimentaires et énergétiques au cas où une rupture de la normalité surviendrait sans crier gare dans nos quotidiens, je ne récoltais au mieux qu’une écoute polie. La plupart du temps, mes interlocuteurs me prenaient pour un excentrique, ce que je revendique pour pas mal d’autres domaines, voire un parano survivaliste allumé et caricatural à l’image de ces Américains construisant leur bunker ou se retranchant dans leurs camps de survie avec milices et compagnie. Ceux qui fleurissent et pullulent dans certaines émissions, sur les réseaux sociaux bas du front, mais donnent une piètre image d’une majorité de gens tout simplement prévoyants et n’attendant pas la bouche grande ouverte la becquée que les autorités voudront bien leur donner. Pour paraphraser la Fontaine, ces arrogants interlocuteurs d’hier se retrouvent fort dépourvus maintenant que la bise du corona est venue. Ils se rendent compte que la 25é heure est finalement peut-être arrivée et qu’ils sont totalement dépendants de l’approvisionnement du supermarché du coin. Ils s'en remettent dorénavant à tous ceux qu'ils snobaient hier encore, les soignants et autres petits personnels qui dans l'anonymat font tourner le monde.
Dans la vie d'avant, ils se sentaient intouchables et au-dessus du lot du commun des mortels, protégés par un maillage serré de connaissances, souvent amis de vagues amis. Les éternels saprophytes, ceux sur qui tu sais pertinemment ne jamais pouvoir compter hormis pour piller parfois ton frigo ou t’appeler au secours lorsqu’un minuscule grain de sable vient gripper la machine bien huilée de leur minable quotidien routinier. Pour eux tous, ces spéculations n’étaient que scénarios improbables d’une minorité risible de farfelus à l'esprit tourmenté.
Leurs certitudes virtuelles ne le sont soudainement plus et une certaine idée étriquée du bonheur de la mondialisation et du shopping à outrance a éclaté en morceaux. Une majorité sort s’entasser devant les supermarchés pour s’approvisionner dans la crainte d’une pénurie de produits de première nécessité qu’elle créée finalement de toutes pièces.
En ces temps difficiles, je ne donne de leçons à personne et n'ai de revanche à prendre sur rien ni personne, mais je reste serein car fidèle à mon image et ma bague fétiche, je vous garde à vous tous au chaud un majeur levé bien haut. Je vous méprise vous et vos semblables encore plus profondément aujourd'hui qu'hier et bien moins que demain et au delà. Dommage que je ne puisse pas organiser de diner de cons pour le moment, vous seriez les bien mal venus.
Aujourd'hui, je réduis au maximum mes interactions avec les autres sans trop entamer mes réserves. La crise va durer ou se répéter, mais celle-ci va peut-être au moins servir de déclic à certains pour ne pas attendre de secours ou de recours miracles. Avant d' ouvrir les yeux sur les réalités de l’évolution d’un monde réel qui marche sur la tête depuis trop longtemps?
Ceux-là même qui souvent pestaient, raillaient et montraient du doigt les populations fragiles trop assistées selon leur minuscule conception étriquée n’ayant jamais connu l’angoisse d’un quotidien principalement tendu vers la simple satisfaction de besoins vitaux se retrouvent dans le même cortège funèbre que le vulgum pecus et verront peut-être enfin leur vision du monde corrigée. Je n'ai jamais oublié d'où je viens ni ce qu'il a fallu d'erreurs funestes, de rencontres et/ou de hasards miraculeux parfois pour m'en sortir un minimum et c'est sans doute l'une de mes seules satisfactions. Vous, vous prendrez peut-être enfin conscience d’une certaine réalité dans un monde hier parallèle au vôtre. Mais je n’en suis pas certain car la perspective d’un probable déconfinement a exacerbé les cupidités frustrées. Entre ceux qui distribuent 1 ou 2 aujourd’hui dans l’espoir de recevoir 100 demain comme d'autres donnent au denier de leur culte pour gagner leur petite place au paradis, le carnaval a déjà commencé à l’image des pharmaciens et de leurs affidés commerçants de bas étage qui profitent de la crédulité de leurs clients et de la peur ambiante pour vendre des masques réutilisables à des prix prohibitifs. Ces mêmes masques qui hier encore étaient jugés inutiles par nos dirigeants puisqu’il n’existait pas de stocks suffisants, mais deviennent soudainement la panacée universelle pour retrouver un semblant de vie « normale ».
Voilà qui dessine la physionomie d'un monde d’après, celui où les marchands du temple seront toujours souverains.